Géographie politique, militaire, urbaine, culturelle et sociale
 
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Une répartition spatiale compliquant l'action militaire

Une répartition spatiale
compliquant l'action militaire

 

 

Les mélanges des populations dans une ville sont, de tout temps, sources de tensions entre les diverses communautés, et même de dangers pour celles qui se retrouvent en situation de minorités dans l'espace urbain. L'action militaire est, par conséquent, directement liée aux besoins des populations dans les villes de Mitrovica et de Sarajevo, parce que la composition et la répartition des communautés sont elles-mêmes des paramètres fondamentaux du conflit. C'est pourquoi, la recherche sur les opérations militaires en milieu urbain ne peut pas éviter de prendre en compte les interrelations entre l'espace, la répartition ethnique et les relations entre les différentes communautés. Le milieu urbain est complexe, dans la mesure où chaque ville est différente dans sa composition et dans sa répartition ethnique. En effet, chaque population urbaine possède un passé commun, un vécu personnel, une culture qui forment l'unité de la ville, même dans ses tensions : ainsi, l'histoire et la géographie font de chaque ville un milieu unique. C'est pourquoi, les habitants d'une ville peuvent avoir des réactions diversifiées et totalement imprévisibles, tout particulièrement lors d'un conflit. La recherche sur les actions militaires en milieu urbain est alors directement liée à la géographie de la population, ou plus exactement des populations, dans les villes étudiées.

 

Comprendre la répartition spatiale des populations en fonction de leurs caractéristiques est une étape essentielle dans la préparation d'une opération militaire en milieu urbain, puisqu'elle permet de repérer les zones dans lesquelles l'action est prioritaire (au-delà des distinctions entre des zones géographiquement propices aux avancées des militaires) et de se préparer à d'éventuelles réactions imprévues de la population dans ces quartiers. D'un point de vue méthodologique, il est alors nécessaire pour les militaires de développer une cartographie précise des villes dans lesquelles ils sont censés intervenir. Ainsi, le 28ème Groupe Géographique a cartographié en détail la ville de Mitrovica, tout d'abord grâce à des moyens GPS installés dans les véhicules à leur disposition, pour obtenir la trame du réseau viaire de la ville ; ensuite, par une enquête de terrain répertoriant la population par communautés, maison par maison. Ainsi, cette carte, non disponible pour les civils, puisque protégée par le secret défense, est d'une grande utilité pour des opérations diverses, qui touchent autant l'analyse que l'action en tant que telle. Néanmoins, cette source peut être critiquable, non dans son intention ou sa réalisation, mais dans sa mise à jour qui fait défaut, notamment après la mise en place du maintien de la paix. De ce fait, en plus de quelques imprécisions ou absences de données, il existe de nombreuses erreurs dans cette carte, qui ne tient pas compte des déplacements de populations et des changements dans la répartition ethnique dans la ville de Mitrovica. La tâche est encore plus difficile dans une ville comme Sarajevo, du fait de sa superficie et de la complexité dans la répartition des populations, notamment du fait du phénomène de mariages mixtes (qui n'existe pas à Mitrovica).

 

Néanmoins, il est indispensable de comprendre, au minimum, la logique de chaque quartier d'une ville, dans la mesure où un quartier est un ensemble géographique homogène dans lequel la population se reconnaît et se définit. La définition du concept de "quartier" telle que l'entendent les géographes est nécessaire pour comprendre l'importance d'un tel découpage pour les militaires. Ainsi, le terme quartier "s'entend à la fois de fraction de finage rural et de ville. Les quartiers urbains sont souvent d'anciennes unités autonomes, qui se sont distinguées dans l'évolution historique d'une ville par la composition de leur peuplement (quartiers de minorités nationales dans les villes américaines, quartiers juifsmellah, hara – dans les villes nord-africaines), ou par leur fonction ancienne ou actuelles (quartiers d'affaires, quartiers commerçants – ou quartiers du marché – quartiers industriels, quartiers de garnison, quartiers universitaires, etc.), ou encore par l'âge de leur construction et de leur insertion dans la ville, vieux quartiers, nouveaux quartiers, par leur position, quartiers du centre, quartiers extérieurs ou périphériques. Sociologiquement, le quartier est une entité vivante à l'intérieur de la ville ; de ce fait, c'est une réalité géographique aussi. Il constitue un milieu de vie, d'activités, de relations. Il est perçu comme un environnement immédiat, plus familier que l'ensemble de la ville et, à plus forte raison, de l'agglomération." [1]. Cette définition est longue, mais elle précise bien les enjeux, pour les militaires, d'un zonage en différents ensembles dans lesquels leur action doit être dosée en fonction des particularités de la population. Des quartiers parfaitement distincts et vécus en tant que tels se dessinent dans la ville de Sarajevo : les comprendre pour le militaire permet de pallier à la difficulté de ne pouvoir cartographier exactement la composition de la population de la ville. En effet, chaque quartier possède une homogénéité dans la mesure où chacun de ses habitants, quelles que soient son ethnie et son appartenance religieuse, s'y reconnaît. Les militaires doivent donc comprendre la différence dans l'espace vécu : un habitant de Baščaršija ne réagira pas du tout de la même façon qu'un autre Sarajévien logeant dans le quartier Hrasno. Le premier vit dans une maison du centre historique de la ville de Sarajevo (Baščaršija est le quartier ottoman, datant du XVème siècle, ce qui en fait le quartier le plus ancien de la ville) tandis que le second vit dans un logement situé dans une tour dans un des nouveaux quartiers de la ville (ces quartiers ont été construits sous Tito suite à l'expansion urbaine de Sarajevo, et se situent à l'entrée de la plaine, seul site où la ville pouvait s'étendre : la rudesse de l'urbanisme communisme et l'éloignement de ces quartiers par rapport au centre-ville y amplifient le sentiment d'appartenance au quartier). Ils n'ont par conséquent pas le même rapport à l'espace, à leurs voisins, au reste de la ville… Leurs réactions peuvent être très différentes face au même événement. C'est pourquoi, une cartographie des quartiers est un minimum pour les militaires appelés à intervenir dans une ville tout en protégeant la population, non seulement des différents belligérants et des dommages collatéraux, mais aussi de ses propres réactions : l'intérêt est de pouvoir distinguer les zones qui deviennent plus facilement violentes que les autres.




[1] George, Pierre et Fernand Verger, 2000, Dictionnaire de la géographie, 7ème édition, 1ère édition 1970, Paris, p. 384.

 

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