Géographie politique, militaire, urbaine, culturelle et sociale
 
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Les militaires face aux difficultes du franchissement des rivières

Les militaires face aux difficultés du franchissement des rivières

 

 

Les cours d'eau et les autres caractéristiques de l'hydrologie sont, pour les militaires, des difficultés à prendre en compte dans toute opération, quelque soit le type de terrain abordé. Néanmoins, leur tâche se complique à partir du moment où ces facteurs interviennent dans un milieu urbain déjà confus. En effet, les cours d'eau posent des problèmes de franchissement pour les militaires dans leur avancée pour la prise de la ville. En effet, les rivières entrent dans la définition des "coupures" déterminées par l'Etat-major des Armées : "la coupure peut être définie comme un obstacle naturel ou artificiel, sec ou humide, susceptible de limiter ou d'empêcher le mouvement" [1]. C'est pourquoi, ils nécessitent le recours aux moyens du Génie. De plus, les terrains les plus sujets à des inondations (comme les poljés à l'ouest de la ville de Sarajevo) entraînent des difficultés pour faire passer des chars trop lourds en période sèche (puisque ces sols sont meubles et tolèrent difficilement de lourds poids) et tous les types de véhicules motorisés en période de pluie (du fait de l'inondation de ces terrains) [2]. Les problèmes de franchissement sont des difficultés bien maîtrisées par l'ensemble de l'Armée française qui déploie des unités interarmées dans les villes ex-yougoslaves. Le franchissement est une opération tactique qui consiste à parer aux destructions des ponts dans les villes ex-yougoslaves : il s'agit d'une "phase de manœuvre qui a pour but de faire passer les unités d'une rive à l'autre d'une coupure lorsque les ponts d'infrastructure sont totalement ou en partie inutilisables ou inexistants. On distingue :

        les franchissements autonomes effectués par moyens amphibies, submersibles ou par passage à gué,

        les franchissements par moyens discontinus : bacs et portières,

        les franchissements par moyens continus : ponts d'équipage ou de circonstance" [3].

Les opérations permettant le franchissement des zones humides ne pose, donc, pas de réel problème technique. La difficulté principale réside dans la rapidité de ces opérations tactiques, dans la mesure où quelques instants perdus peuvent rendre les militaires vulnérables aux tirs adversaires, et ainsi compliquer le déploiement des troupes dans les villes ex-yougoslaves.


 

Lors des impositions de maintien de la paix, les militaires sont souvent amenés à reconstruire les principaux ponts au-dessus des rivières, afin de rétablir les liaisons dans une ville et permettre sa réorganisation économique. De plus, ces travaux du Génie peuvent avoir une dimension symbolique, dans la mesure où ils sont parfois décidés dans le cadre de la réconciliation des populations. Ainsi, à Sarajevo, comme à Mostar (où les affrontements ont opposés les communautés croate et bosniaque, après l'expulsion des Serbes de la ville), il s'agit d'aider la population à restaurer les souvenirs d'un passé commun. Par exemple, dans le cas de Mostar, Yves Cornu parle de "pont de la concorde" en évoquant la reconstruction du Stari Most ("vieux pont") détruit en novembre 1993 : "Ce n'est pas seulement l'amour des vieilles pierres qui a poussé les pays donateurs à financer l'opération, mais aussi l'espoir que la magie s'opère à nouveau" [4]. Il s'agit de permettre aux communautés de reconstruire ensemble des édifices représentant leur passé commun et leur entente et d'oublier le conflit qui les a opposées. Cette reconstruction du pont symbolise le retour à des tendances plus modérées [5]. Les opérations militaires de franchissement des rivières et de reconstruction des infrastructures se révèlent être bien plus, dans les villes de Bosnie-Herzégovine, que de simples manœuvres techniques.


 

La reconstruction du pont ouest de Mitrovica se fait dans la même optique de réconciliation des populations ; néanmoins, le contexte est plus difficile, dans la mesure où l'Ibar a valeur de frontière vécue. C'est pourquoi, les militaires développent leurs actions selon deux directions. Tout d'abord, il s'agit de remédier aux problèmes de franchissement rudimentaires, dans le cadre de la sécurisation des populations. Dans ce contexte, les militaires s'œuvrent à la construction d'une passerelle reliant les Trois Tours aux quartiers albanais du sud de la ville de Mitrovica. Les moyens de franchissement sont alors interprétés dans les opérations militaires selon leur acceptation la plus simple : le passage des populations en toute sécurité.


 

La seconde phase vise la réconciliation des populations dans la ville de Mitrovica : les moyens de franchissement de la rivière Ibar constituent alors un enjeu pour le rétablissement d'une vie économique, et à terme politique, culturelle et sociale, entre les deux parties de la ville de Mitrovica. C'est pourquoi, les militaires français ont activement participé à la reconstruction du pont ouest, grâce aux moyens du Génie. Néanmoins, les difficultés de franchissement restent ancrées dans la perception collective des habitants de la ville de Mitrovica.


 

Dans les villes ex-yougoslaves, le pont n'est pas seulement un simple moyen de franchissement : il symbolise à lui seul la perception que les habitants se font de leurs villes, leur vécu commun, et leurs rancœurs. En Bosnie-Herzégovine, le pont est un symbole du mélange des communautés dans le milieu urbain [6] ; tandis qu'au Kosovo, il marque la différenciation ancienne entre les espaces de vie des différentes communautés. C'est pourquoi, les militaires français doivent prendre en compte avant tout le contexte de la ville pour comprendre les travaux de reconstruction à entreprendre pour permettre à la population des différentes villes ex-yougoslaves de communiquer, de retrouver une activité normale et d'entreprendre un dialogue collectif.



[1] "A titre d'exemple, le milieu européen, et en particulier la zone Centre Europe, présente une grande abondance et une forte diversité de cours d'eau pouvant être inopinément transformés en coupures. On estime que lors de sa progression dans cette zone, une force risquerait de rencontrer en moyenne :

         une coupure de 20 m environ, peut-être plus, tous les 20 à 25 km,

         une coupure de 50 à 100 m tous les 50 km,

         une coupure de 100 à 150 m tous les 100 à 150 km."

Ministère de la Défense, 2001, Manuel d'emploi relatif aux franchissements, TTA 750, n°1138 / CDES / CREDAT / B8, Paris, paragraphe 1.1.2.

[2] Entretien avec le LtCo Spach, réalisé le 30/03/05.

[3] Ministère de la Défense, 2001, Manuel d'emploi relatif aux franchissements, TTA 750, n°1138 / CDES / CREDAT / B8, Paris, paragraphe 1.1.

[4] Cornu, Yves, Mostar, "Le pont de la concorde", Le Point, jeudi 4 avril 2005, p. 123.

[5] "Récemment, tout est était dédoublé : les municipalités, mais aussi le système scolaire, l'université, les services de santé, le ramassage des ordures et jusqu'aux pompiers. Les populations ne faisaient évidemment pas exception, et les Musulmans qui s'aventuraient à l'Ouest, où les commerces sont plus nombreux, se dépêchaient de regagner leur ghetto avant la nuit. […] Et puis le mouvement a commencé à se renverser. Un revirement encouragé au niveau politique, et qui s'est accéléré sous la pression de la rue" (Cornu, Yves, Mostar, "Le pont de la concorde", Le Point, jeudi 4 avril 2005, p. 123).

[6] "Ainsi, le pont qui fait la jonction entre les deux tronçons de la route de Sarajevo relie le bourg à sa banlieue. Ou plutôt, quand on dit «relie», c'est comme lorsque l'on dit «Le soleil se lève le matin pour que nous, les hommes, puissions voir autour de nous et vaquer à nos occupations, et il se couche le soir pour nous permettre de nous reposer des efforts de la journée.» En effet, ce grand pont de pierre, cette construction somptueuse à la beauté incomparable, comme n'en ont pas des villes beaucoup plus riches et beaucoup plus souvent traversées («Il n'y en a que deux autres qui peuvent lui être comparés dans tout l'Empire», disait-on jadis), représente l'unique passage fiable et permanent sur tout le cours moyen et supérieur de la Drina, et il constitue un point de jonction indispensable sur la route qui relie la Bosnie à la Serbie, et, au-delà, des autres parties de l'Empire turc, jusqu'à Stamboul. La ville et ses faubourgs, eux, ne sont qu'une de ces agglomérations qui se développent immanquablement aux principaux nœuds de communication ou de part et d'autre des ponts les plus grands et les plus importants. C'est ainsi qu'à cet endroit également, avec le temps, les maisons se sont multipliées et les hameaux se sont étendus sur les deux rives. La bourgade a vécu du pont et a grandi en partant de lui comme d'une racine indestructible" (Andric, Ivo, 1987, Le Pont sur la Drina, éditions Livre de Poche, Collection biblio, Paris, p. 8 ).

 

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