Géographie politique, militaire, urbaine, culturelle et sociale
 
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Notes de lecture

Géographie militaire (Philippe Boulanger)
L'Afrique des idées reçues (Georges Courade - dir.)
Les Balkans : une géopolitique de la violence (Michel Sivignon)
Atlas géopolitique d'Israël. Aspects d'une démocratie en guerre (Frédéric Encel)

 

Géographie militaire (Philippe Boulanger)

BOULANGER, Philippe, 2006, Géographie militaire, Paris, Ellipses, Collection Carrefours, Les Dossiers, 384 pages (par Bénédicte Tratnjek).

Première synthèse en français du lien entre la géographie et le monde militaire. En France, la géographie universitaire est frileuse quant à son ouverture sur les questions militaires, lui préférant les questions plus conventionnelles. Pourtant, Philippe Boulanger le montre : l’intérêt de la géographie militaire n’est pas mort, bien au contraire. Ses précédents ouvrages démontraient qu’une bonne connaissance géographique avait un avantage pour les forces armées, dans une approche historique, au temps de l’Ecole de géographie militaire française. Mais ce savoir, qui connut son apogée entre son renouveau en 1870 et le début de la Seconde Guerre mondiale, s’est perdu : on lui a préféré la géopolitique, la géostratégie, la géographie politique… Pourtant, ce savoir a fait ses preuves : de tout temps, les grands stratèges ont reconnu l’importance de la géographie tant au niveau stratégique qu’au niveau tactique. Et Philippe Boulanger fait état de tous les savoirs de la géographie : qu’elle soit physique, urbaine ou humaine, son ouvrage apporte des éléments indispensables à la compréhension, la planification et le déroulement des opérations militaires. Pour exemple, la biogéographie qui semble l’affaire de spécialistes, est un savoir pour le militaire : tout d’abord, la technologie n’est pas parvenue à anéantir toutes les contraintes physiques : les forêts restent des zones-refuges difficiles d’accès, de plus en plus importantes dans le contexte de multiplication des conflits asymétriques puisqu’elles peuvent servir de bases arrières pour les belligérants, les terroristes, les groupes paramilitaires et criminels. De plus, la forêt est une ressource importante pour le développement économique de certains pays, et comprendre son importance peut permettre d’éclairer les "conflits verts", que P. Boulanger décrit comme des conflits liés au changement environnemental (pénurie de la ressource ou accès discriminatoire à celle-ci, par exemple). En outre, P. Boulanger montre les problématiques qui se posent à la DGA pour appliquer Natura 2000. Enfin, la guerre est un facteur de dégradation de l’environnement : les ACM qui agissent notamment sur la reconstruction économique d’un pays doivent prendre en compte la valeur de la ressource forestière (la Bosnie-Herzégovine est un exemple pouvant éclairer la démonstration de P. Boulanger, puisque la ressource forestière couvrait une part non négligeable des exportations en matières premières du pays, et suite à une guerre prolongée, la Bosnie-Herzégovine a perdu environ 60 % de son rendement en 1995, par rapport à son niveau de 1991). La géographie physique semble affaire de spécialistes, loin des préoccupations des militaires. Pourtant, cette belle leçon de géographie montre que le militaire doit s’intéresser à toutes les composantes d’une discipline qui est un atout tant dans les opérations cœrcitives que dans le maintien de la paix. La géographie humaine, expliquant la population, sa répartition, son appartenance religieuse, ethnique, linguistique, sociale… prend bien évidemment une place importante dans cet ouvrage, puisqu’elle permet au militaire de comprendre les conflits, et à l’universitaire de comprendre l’intervention armée. Une leçon pour le lien Armées/Nation. Parce que finalement, le militaire est un géographe qui s’ignore…

Note de lecture publiée dans la Lettre d'informations électronique du C2SD n°2

 

 

 

L'Afrique des idées reçues (Georges Courade)

COURADE, Georges (dir.), 2006, L'Afrique des idées reçues, Paris, Belin, Collection Mapppemonde, 400 pages (par Bénédicte Tratnjek).

Rédigé par trente auteurs, dirigé par George Courage, cet ouvrage propose au lecteur une série de "fiches" présentant des idées-reçues concernant l’Afrique subsaharienne.

"L’Afrique n’est pas prête pour la démocratie", "Le sida va rayer l’Afrique de la carte du monde", "Les Africaines font trop d’enfants ; une bombe démographique en puissance !"... Nous pensons tous connaître l’Afrique et pouvoir l’analyser. Mais qu’en connaissons-nous vraiment ?

Trente chercheurs se sont réunis pour nous proposer le résultat de leurs analyses et de leurs études de terrain, afin de nous éclairer sur la part de vérité et la part d’erreur dans chacune de ces idées-reçues fortement véhiculées.

Cet ouvrage crible ainsi 51 idées-reçues qui donnent à voir les réelles spécificités et les enjeux actuels de l’Afrique subsaharienne. Selon ses auteurs, "ce livre est destiné à tous ceux qui veulent éviter de juger, de jauger avec condescendance et commisération le continent africain, qui veulent le connaître et commencer à le comprendre dans sa complexité comme dans sa diversité, sans préjugés, sans complaisance, mais avec lucidité, en évitant des jugements à l’emporte-pièce".

Et le pari est réussi ! L’avantage de ce livre est d’offrir au lecteur à travers des fiches courtes, une analyse démêlant le vrai du faux, de mettre l’accent sur la complexité des situations, au-delà des simplismes et des déformations que l’on entend couramment.

Chaque fiche compte environ cinq pages illustrées de nombreuses cartes, renvoie à une bibliographie complète et offre une liberté de lecture. Chaque fiche est indépendante, et se lit comme un article sur un sujet ciblé, ce qui permet à chaque lecteur de "naviguer" dans les thèmes qui l’attirent le plus.

En quatre parties, l’ouvrage propose une grille de lecture sur l’Afrique subsaharienne sans "langue de bois" ni discours complaisant.

L’introduction présente les principaux stéréotypes qui nous sont inculqués (par la presse, les discours politiques ou même les enseignants).

La première partie "L’Afrique est riche… mais les Africains dilapident les ressources !" permet de replacer des données économiques sur l’Afrique. Economistes, politologues, sociologues et géographes mêlent leurs expériences de terrain et leurs analyses pour aborder les questions aussi diverses que l’enclavement de l’Afrique, le recul de la forêt, l’avancée du désert, la corruption des Etats, le sida, les migrations vers l’Europe, la dette des Etats.

La deuxième partie "Lire le passé pour comprendre le présent et construire l’avenir", plus géopolitique, revient sur des lieux communs très ancrés dans l’opinion publique, tels que la traite négrière, l’esclavage aujourd’hui, l’origine des ethnies, la place des religions dans les conflits, le tribalisme comme cause de conflit, l’aspect des guerres d’aujourd’hui, l’appartenance foncière, les frontières comme pénalisantes, le Sahara comme barrière, la ville en Afrique comme création coloniale, le fonctionnement de l’Etat africain, la démocratie. Cette partie offre la possibilité de revenir sur les causes des conflits actuels en Afrique.

La troisième partie "Comportements irrationnels, mentalités rétrogrades", plus sociologique, revient sur les comportements des africains tels que nous croyons les connaître et souvent les juger : les Africains sont pauvres, polygames, solidaires, souples ; il n’y a pas d’entrepreneurs, les fonctionnaires sont corrompus et inefficaces, le contrôle social inhibe les initiatives…

La quatrième partie "Le progrès doit être imposé à des paysan(nes) archaïques" propose une analyse des sociétés rurales de l’Afrique subsaharienne (agriculture archaïque et manuelle, sans rendements suffisants) et revient sur les lieux communs présentant la modernisation, la mécanisation, l’utilisation massive d’irrigation et d’OGM comme les seules solutions pour nourrir l’Afrique.

La dernière partie "L’Afrique est partie… dans quelle direction ?" présente des articles sans réelle homogénéité abordant des sujets aussi divers que le statut de la femme, la place des jeunes et des enfants, la surpopulation, la fuite des cerveaux, l’industrialisation, les apports financiers des immigrés, l’économie informelle, les nouvelles communications, le fonctionnement de l’Etat, la scolarisation.

Résultat d’une réflexion conduite par une équipe de recherche pluridisciplinaire, cet ouvrage analyse la réalité sans dramatisation ni complaisance et permet d’aborder les enjeux actuels de l’Afrique subsaharienne sans utiliser des termes ou des références complexes. Ouvrage de vulgarisation, il apporte une analyse simple d’accès pour la brièveté des fiches.

Dans la perspective de comprendre les conflits en Afrique subsaharienne, il est particulièrement intéressant de lire les fiches sur "les ethnies ont une origine précoloniale", "le tribalisme explique les conflits", "les guerres aujourd’hui sont plus nombreuses, plus meurtrières, plus prédatrices et plus barbares !", "Nordistes musulmans et sudistes chrétiens s’affrontent dans les Etats africains", "Les frontières africaines sont pénalisantes".

Cet ouvrage est une belle réussite de l’approche pluridisciplinaire : géographes, sociologues, économistes, politologues, mais aussi zootechnicien, docteur vétérinaire, agronomes, et membre de Médecins sans Frontières, ont su collaborer pour construire cet ouvrage destiné à tous ceux qui cherchent à mieux connaître l’Afrique subsaharienne.

A noter : les éditions Belin sont en train de monter des équipes de recherche pour renouveler l’expérience sur d’autres continents, en premier lieu l’Asie.

Espérons que ces projets soient menés à terme, avec la même capacité d’analyse, de synthèse et la même lucidité. (Informations données lors du Festival de Géographie de Saint-Dié-des-Vosges d’octobre 2007 par le représentant des Editions Belin).

Note de lecture publiée dans la Lettre d'informations électronique du C2SD n°3

 

 

Balkans : une géopolitique de la violence (Michel sivignon)

SIVIGNON, Michel, 2009, Balkans : une géopolitique de la violence, Paris, Belin, Collection Mappemonde, 208 pages (par Bénédicte Tratnjek).

Aux portes de l’Europe riche, s’est jouée il y a quelques années une guerre aujourd’hui oubliée et dont il ne reste que des stigmates. Les Balkans sont devenus une sorte de « terra incognitae » dans l’imaginaire collectif de l’opinion publique européenne. Pourtant, cette aire régionale soulève de nombreux défis dans la construction européenne. Le dernier ouvrage de synthèse consacré aux Balkans datait de 1994 (Georges Prévélakis, 1994, Les Balkans, Nathan, collection Géographie d’aujourd’hui, Paris, 192 p). Depuis, des ouvrages d’histoire et de relations internationales ont été publiés sur les Balkans, les guerres qui ont déchiré cette région et les enjeux actuels de l’instabilité de cette région, mais bien peu de géographie.

Le premier chapitre dresse un tableau des enjeux dans les Balkans en 2008. L’indépendance du Kosovo le 17 février 2008 marque une rupture qui « illustre de façon exemplaire les questions balkaniques d’aujourd’hui » (p. 15). Les débats des solutions politiques (qu’elles soient le fruit de négociations comme les accords de Dayton pour la Bosnie-Herzégovine, ou le fruit de l’échec des négociations comme l’auto-proclamation de l’indépendance du Kosovo) cachent de nombreux autres enjeux et, en tout premier lieu, la question de la cohabitation des communautés. Avec de nombreuses cartes, Michel Sivignon montre comment les discours sur les identités locales en rejet de « l’Autre » ont créé de nouveaux rapports entre les communautés.

Le chapitre 2 revient sur les guerres de décomposition de l’ex-Yougoslavie comme principal facteur de la recomposition territoriale. Alors que les regards de l’opinion publique européenne se focalisent sur le démantèlement du rideau de fer, la Yougoslavie est soumise à de nombreux soubresauts politiques à la succession de l’ancien président Josip Broz, dit Tito. Les tensions entre les populations sont exacerbées par des luttes de pouvoir. Michel Sivignon explique l’embrasement de l’ensemble de l’ex-Yougoslavie comme un jeu de dominos depuis la guerre de Slovénie en 1991. Une guerre (courte) oubliée, déclenchée à l’indépendance de cette ancienne République yougoslave mais dont les effets se sont faits sentir jusqu’à la guerre du Kosovo en 1999. Entre ces deux dates, la carte de l’aire balkanique et celle de l’Europe se trouve profondément modifiée avec l’apparition d’Etats qui doivent tout construire en même temps et, surtout, leur identité.

Qu’appelle-t-on finalement « Balkans » ? Michel Sivignon revient, dans le chapitre 3, sur l’importance des mots et leur utilisation géopolitique. Aujourd’hui, on parle plus volontiers d’ « Europe du Sud-Est », comme pour éloigner pour le symbole du nom les vieux démons des violences balkaniques. Michel Sivignon montre parfaitement que le nom « Balkans », d’usage récent, est fortement connoté et symbolise les tensions du XXe siècle.

La question du nom renvoie à celle des limites et des spécificités du territoire (chapitre 4). Michel Sivignon, rejetant tout déterminisme, montre qu’il existe un lien entre les caractéristiques physiques des territoires balkaniques et les enjeux géopolitiques. « Le milieu naturel nous fournit-il une grille de lecture de la géographie politique des Balkans ? Dans une certaine mesure, oui. [...] Les caractéristiques physiques des territoires balkaniques pèsent de leur poids propre mais sont toutefois bien loin d’expliquer de manière satisfaisante leur évolution historique. Leur histoire est inscrite dans un cadre, mais elle n’est pas écrite par ce cadre. Déterminisme relatif, si cette expression a un sens » (p. 51). Ce lien entre géographie physique et géographie politique est particulièrement explicatif des mobilités et de leurs contraintes. Michel Sivignon analyse l’ensemble balkanique en montrant les ouvertures et les fermetures « naturelles » et avant tout l’exploitation par la politique de ces déterminants. Les mobilités des populations sont analysées dans le temps long du peuplement des Balkans. Mais Michel Sivignon met en garde contre « tout discours généralisateur [qui] est trompeur » (p. 69) et montre que c’est bien l’utilisation des territoires par les hommes qui font l’histoire.

Dans le chapitre 6, Michel Sivignon analyse les modalités des constructions étatiques dans les différents pays balkaniques. Dans une région où les frontières sont récentes, l’identité nationale peine à s’installer alors que les communautés sont disséminées sur plusieurs Etats. A travers les mouvements de population et les sentiments identitaires (qu’ils soient fondés sur l’appartenance ethnique ou sur l’appartenance confessionnelle), Michel Sivignon montre les nombreux défis qui se posent dans des Etats récents devant fédérer des populations qui, pour certaines d’entre elles, se sont violemment affrontées. La question des langues dans les Balkans permet d’analyser le processus de construction étatique et les difficultés d’intégration voire, dans certains cas, le rejet pour certaines minorités. Mais la langue est aussi un « outil », si ce n’est une arme, utilisé pour se différencier des autres Etats : là où l’on parlait le serbo-croate dans toute l’ex-Yougoslavie à l’exception de la Slovénie et de quelques poches de minorités telles que le Kosovo, on parle aujourd’hui le serbe, le croate, le bosniaque, le monténégrin, le macédonien...

Les chapitres 6 et 7 sont consacrés à l’analyse des peuples balkaniques, de l’histoire de leur peuplement et de leurs territoires. Combien sont-ils ? Où vivent-ils ? Dans quelle situation se trouvent-ils dans les différents territoires (majorité/minorité) ? Quels sont les critères qui fondent leur identité en tant que peuple ? Comment acceptent-ils la présence de « l’Autre » ? A travers l’analyse des peuples grec, albanais, roumain, bulgare, serbe, monténégrin, croate, slovène, valaques, rom, juif, chypriote, moldave, macédonien, bosniaque, et certainement bientôt kosovar, et montre ainsi les différents processus d’intégration et d’exclusion qui font partie intégrante des discours politiques.

Le chapitre 8 met en exergue l’usage de la carte comme message, discours, instrument formant les imaginaires et les identités. Qui sont les acteurs de la cartographie ? Quels usages et dérives en ont été faits ? Quels messages sont cachés derrière des cartes localisant les communautés ethniques ou religieuses ? Comment a-ton fait mentir certaines cartes ? Comment a-t-on utilisé des figurés, des légendes et des thèmes qui attisent les tensions ? Quelle utilisation de la carte dans le processus de construction nationale ? « Les atlas nationaux et plus encore les atlas à usage scolaire restent aujourd’hui des instruments de propagande » (p. 139). L’exemple des atlas scolaires de Serbie et de Bosnie-Herzégovine représentant le territoire bosniaque tout en niant « l’Autre » est parfaitement éloquent : tandis que dans la Fédération bosno-croate certaines cartes scolaires laissent toute la Republika Srpska (comme si ce territoire ne faisait pas partie intégrante de la Bosnie-Herzégovine), les cartes scolaires distribuées en Serbie nient l’existence de la Fédération, et ne figurent que la Republika. L’analyse de l’utilisation de la carte comme discours politique montre combien les tensions entre les différentes communautés sont toujours vivaces et combien elles s’intègrent dans le processus de construction d’une identité nationale.

Le chapitre 9 conclut sur les enjeux géopolitiques actuels en analysant les frontières multiscalaires. Michel Sivignon montre non seulement les problématiques autour de la multiplication des frontières interétatiques dans les Balkans depuis 1990, mais revient également sur des lignes de fracture plus anciennes telles que les frontières qui ont « formaté » l’histoire du peuplement dans les Balkans (influence latine / influence grecque, Empire austro-hongrois / Empire ottoman, rideau de fer). Michel Sivignon analyse également la question des frontières intraétatiques, entre des limites officialisées (comme l’Inter Entity Border Line issue des accords de Dayton) et des frontières vécues (notamment à travers les nombreux cas de frontières urbaines, telles que dans les villes de Mitrovica, de Tetovo, de Mostar et de Sarajevo). Il montre combien les impacts des nettoyages ethniques se sont inscrits dans l’appropriation des territoires et dans les pratiques spatiales. « La frontière est aussi dans les têtes » (p. 151). Les frontières vécues sont également l’enjeu de marqueurs territoriaux : il s’agit à la fois de déterminer son identité et de délimiter son territoire, comme le montre l’exemple de l’alphabet comme frontière. Les conséquences des nettoyages ethniques posent également le défi des retours des réfugiés, mais avant tout des déplacés qui n’ont pas toujours la possibilité de revenir dans leur terre d’origine. Derrière le mythe des retours, le nombre des déplacés reste un problème à la fois économique, social et un facteur de déstabilisation. La question de l’émergence des frontières se pose enfin, entre les pays et au sein des pays balkaniques sur les critères économiques. Alors que certaines zones bénéficient d’un effet-frontière positif grâce à la multiplicité des échanges économiques, on constate davantage des déplacements fuyant des zones rurales en cours de paupérisation, voire fuyant le pays pour des ailleurs tels que l’Union européenne.

Le chapitre 10 revient sur les interrogations multiscalaires de l’introduction et sur la voie de l’intégration dans l’Union européenne comme processus de stabilisation des Balkans. « Tous les Etats balkaniques souhaitent entrer dans l’Union et ont vocation à y entrer » (p. 169). Déjà cinq Etats balkaniques sont membres de l’UE (la Grèce depuis 1981, la Slovénie et Chypre depuis 2004, et la Bulgarie et la Roumanie depuis 2007), sept Etats restent pour l’instant en marge de cet élargissement (la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, la Serbie, Le Kosovo, la Macédoine et l’Albanie). Ainsi, une nouvelle frontière s’est insérée dans les Balkans, marginalisant d’autant (d’un point de vue politique et économique) les pays encore absents de la liste des adhérents, et les « enclavant » au cœur de l’espace de libre circulation européen. Cette intégration à « deux vitesses » semblent redessiner une nouvelle carte des Balkans, avec des pays qui s’en éloignent fortement (la Grèce, la Slovénie et de plus en plus la Croatie) et des pays qui restent ancrés dans des problématiques conflictuelles internes et externes, qui en font des « zones grises » particulièrement vulnérables à la déstabilisation (comme le montre le cas du développement de la criminalité organisée dans les zones les plus instables).

Au final, Michel Sivignon offre ici un ouvrage sur les Balkans d’une grande originalité, qui vient compléter à propos les ouvrages d’histoire et de relations internationales grâce à la mise en perspective des différentes problématiques géographiques. Les territoires du quotidien, les territoires de la contestation, les territoires de la violence, mais également les territoires pacifiés et les territoires de l’entente y sont analysés et confrontés afin de permettre au lecteur de comprendre, avec un grand esprit de synthèse sans raccourci, les enjeux contemporains de cette région en cours de recomposition, destinée à intégrer l’Union européenne.


Voir également :
-  Le compte-rendu du Café géo
« Les relations entre les Balkans et l’Europe » avec Michel Sivignon (13 décembre 2002), en lien avec le chapitre 10.
-  Le compte-rendu du Café géo
« Le péché cartographique : le cas des Balkans » avec Michel Sivignon (21 mars 2000), en lien avec le chapitre 8.

Note de lecture publiée pour le site des Cafés géo

 




Atlas géopolitique d'Israël. Aspects d'une démocratie en guerre (Frédéric Encel)

ENCEL, Frédéric, 2008, Atlas géopolitique d'Israël. Aspects d'une démocratie en guerre, Paris, Autrement, Collection Atlas/Monde, 80 pages (par Bénédicte Tratnjek).

Alors que de nombreuses questions se posent concernant la stabilisation et la reconstruction de la bande de Gaza, il est intéressant de (re)lire cet Atlas géopolitique d’Israël de Frédéric Encel. Tous les aspects de la géopolitique de l’Etat hébreu y sont présentés à travers des cartes et des graphiques très démonstratifs, accompagnés de courtes analyses. Il ne s’agit pas seulement d’un atlas du conflit israélo-palestinien, il « englobe » toutes les dimensions des rivalités de pouvoir tant à l’échelle nationale qu’aux échelles locale, moyen-orientale et internationale. La première partie, « du sionisme à l’Etat d’Israël », retrace les évolutions territoriales de l’Etat israélien depuis sa création, en précisant combien les représentations mentales ont joué un rôle fondamental dans l’appropriation de l’espace et les tensions qui s’en sont suivies. Les cartes présentant les différentes guerres éclairent l’imbrication des enjeux territoriaux à travers une présentation multiscalaire (Golan, Liban, Moyen-Orient...). La deuxième partie, « démographie, sociologie et politique », présente les enjeux quant à la répartition des populations à la fois en tant que réalité socioculturelle et en tant qu’objet de représentations différentes et de rivalités intercommunautaires. Frédéric Encel confronte ainsi les réalités démographiques, leur place dans la politisation des rivalités intercommunautaires, et les « fantasmes d’une submersion démographique ». Des cartes qui éclairent parfaitement la place de « l’Autre » dans les discours politiques. La troisième partie présente les « questions énergétiques et économiques » : cartes et graphiques permettent de comprendre les rivalités entre consommation et exploitation des ressources hydriques et énergétiques, ainsi que la place de l’économie comme facteur de puissance pour un Etat qui tend à renforcer son assise régionale. La quatrième partie, consacrée aux « aspects stratégiques et sécuritaires », montre la mise en place d’un contrôle de l’espace complexe visant à anéantir toute continuité territoriale dans les territoires palestiniens, et donc toute unité nécessaire à la constitution d’un Etat, et ce à toutes les échelles. Les dispositifs sécuritaires (barrières, murs, implantations de colonies...) visent ainsi à séparer non les Israéliens et les Palestiniens, mais également à essaimer les Palestiniens sur des portions de territoires non reliées entre elles. Frédéric Encel montre de nouveau l’imbrication des échelles comme élément d’analyse de la complexité de la situation, en présentant combien la politique israélienne s’ancre dans une vision du monde selon laquelle l’Etat hébreu est entouré d’Etats hostiles. Il analyse les stratégies politiques de contournement de cet environnement hostile, ainsi que les « zones tampons » considérées d’intérêt stratégique et sécuritaire vital telles que le Liban-Sud et le Golan. Ce qui l’amène, dans la cinquième partie, à développer les « aspects diplomatiques » de manière multiscalaire (relations avec les Nations Unies, avec les pays voisins, enjeux des différentes étapes du processus de paix au sein du pays comme dans tout le Moyen-Orient, place de l’identité et de la mémoire dans les négociations diplomatiques). Cet atlas fournit un excellent moyen d’appréhender la multitude des problématiques géopolitiques, tant dans leurs réalités que dans les représentations et les « fantasmes » dominants. A (re)lire pour tous ceux qui cherchent à comprendre la complexité de la vie politique en Israël.

 

Frédéric Encel est également auteur de :
-  Géopolitique de Jérusalem, Flammarion, Paris, 1ère édition 1998, réédition en 2008, 281 pages.
-  Moyen-Orient entre guerre et paix. Une géopolitique du Golan, Flammarion, Paris, 1ère édition 1999, 4ème édition revue en 2002, 240 pages.
-  Géopolitique d’Israël, avec François THUAL, Le Seuil, Paris, 1ère édition 2004, réédition 2006, 432 pages.
-  Géopolitique du sionisme, Armand Colin, Paris, 2006, 288 pages.

 

Pour aller plus loin sur le site des Cafés géo :
-  
Israël-Palestine : La guerre pour le territoire (27 novembre 2001).
-  
Israël-Palestine (2) : une nouvelle guerre de cent ans ? (20 mars 2002).
-  
Israël, géopolitique d’une démocratie en guerre (5 mai 2008).

 

Pour aller plus loin sur Internet :
-  Le
site officiel de Frédéric Encel
-  Jean-François Legrain,
« Pour une autre lecture de la guerre de Gaza », EchoGéo, Rubrique Sur le vif 2009, 13 février 2009.
-  Jacques Lévy,
« Topologie furtive », EspacesTemps.net, Rubrique Mensuelles, 28 février 2008.

Note de lecture publiée pour le site des Cafés géo

 

 

 

Dictionnaire de géographie militaire (Paul-David Régnier)

REGNIER, Paul-David, 2008, Dictionnaire de géographie militaire, Paris, CNRS, Collection CNRS Histoire.

 

 


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